Amies lectrices, amis lecteurs
J’ai le plaisir de vous convier à une signature de mon nouveau roman, L’Enfer. J’aurais préféré vous voir et vous serrer les mains, mais la consigne du gouvernement est claire : noli me tangere. Donc j’espère que vous excuserez cette double invitation virtuelle à :
- une lecture et conversation entre nous sur zoom, mercredi prochain 17 février à 18h (Inscription ici)
- une dédicace du livre, que je signerai avec une plume bien réelle (commandez votre exemplaire ici)
Pourquoi avoir imaginé l’Enfer ? Parce que celui de Dante me paraissait un peu daté. On y trouve pluie éternelle, boue à manger, rivières de sang, flocons de feu et mer d’excréments. A une époque où la souffrance fait partie de la vie quotidienne, on comprend certes que l’Enfer soit le lieu de la torture éternelle..
Mais que devient l’Enfer en 2021, plus d’un siècle et demi après l’invention de l’aspirine ?
En parcourant les couloirs des aéroports, que j’ai probablement trop fréquentés ces dernières années, je me suis souvent dit : « c’est l’enfer ». Pourtant, un aéroport est l’endroit le plus sûr du monde. A l’entrée, tout le monde est contrôlé, fouillé, testé et retesté. Rares sont les terroristes ou les virus qui peuvent y pénétrer. Une fois à l’intérieur, tout est fait pour notre confort. L’eau est disponible à volonté, le wifi gratuit, la température contrôlée. Les bars nous permettent de goûter la cuisine du monde entier et les boutiques nous offrent tous les produits de l’ingéniosité humaine. Les efforts physiques nous sont épargnés par le jeu des tapis roulants et des ascenseurs. Au moindre problème, à la moindre défaillance, hôtesses et secouristes se précipitent pour nous venir en aide. En termes d’augmentation du bien-être, et donc de maximisation de l’utilité collective, un aéroport est un chef-d’œuvre d’efficience. Pourquoi diable n’y suis-je pas heureux ?
« En écrivant ce conte philosophique, j'ai pris définitivement mes distances avec le néolibéralisme »
Pour le comprendre, je me suis mis dans la peau, comme dans The Terminal de Steven Spielberg, d’un passager condamné à errer d’un aéroport à l’autre. Mais cette fois, pour l’éternité. L’Enfer dans notre société de l’abondance, n’est-ce pas la satisfaction perpétuelle de désirs toujours renaissants ?
En écrivant ce conte philosophique, j’ai pris définitivement mes distances avec le néolibéralisme, combinaison d’utilitarisme marchand et de surveillance d’Etat, bien décrit par Michel Foucault dans ses Leçons de Biopolitique (son dernier cours au Collège de France, une merveille sur l’histoire du libéralisme). Le lecteur pourra ainsi croiser dans cet Enfer Milton Friedman rebondissant sans fin sur un trampoline, convaincu d’être au Paradis… (à ma décharge, Dante avait placé dans son propre Enfer tous les intellectuels florentins de son temps)
« Les structures de pouvoir mises en place lors d'une épidémie tendent hélas à perdurer »
Ma crainte face à la gestion de l’épidémie, c’est que les gouvernements ne nous rapprochent de cet Enfer sur terre, en exigeant des passeports sanitaires, en rétablissant des frontières, en multipliant les tests, comme en Chine où il faut scanner un QR code de santé pour entrer dans le moindre bar… Michel Foucault, encore lui, analysait dans son Histoire de la Folie comment les léproseries avaient survécu à la maladie (pour y enfermer les fous) : les structures de pouvoir mises en place lors d’une épidémie tendent hélas à perdurer.
Vous avez déjà deviné à quoi ressemble le Paradis. C’est le livre sur lequel je travaille ces mois-ci : le récit de mon voyage à cheval. Une expérience de liberté intérieure, fondée sur le dépouillement de soi et non sur la multiplication des choix.
A bientôt dans le purgatoire virtuel !
Gaspard Koenig
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