Depuis janvier 2020, l’Autriche est dirigée par une coalition gouvernementale inédite regroupant des conservateurs issus du Parti populaire autrichien, l'ÖVP, et du parti écologiste, Die Grünen. Pour Sebastian Kurz, chancelier fédéral autrefois allié avec l’extrême droite, il s’agit de « protéger le climat et les frontières en même temps ». S’agit-il d’une manœuvre purement politicienne ou peut-on y voir le signe d’une possible et profonde convergence philosophique ?
L’écologie politique s’enracine dans une forme de radicalité consistant à rompre avec la modernité occidentale. Dans un article intitulé : « The deep ecological movement. Some philosophical aspects », le philosophe norvégien Arne Naess invite à considérer la valeur intrinsèque de la nature et de la vie non humaine, et ce indépendamment de « l’utilité du monde non humain pour les fins de l’homme ». Contre la vision périphérique d’une nature réduite à l’environnement d’une humanité posée comme centre absolu, l’écologie « profonde » appelle à respecter en soi « la richesse et la diversité des formes de vie ».
En pratique, il apparaît donc nécessaire de « changer nos orientations politiques de façon drastique sur le plan des structures économiques, technologiques et idéologiques ». Il faut rectifier « l’intervention humaine » jugée « actuellement excessive ». Cela débouche sur la remise en cause de la croissance économique, purement quantitative, mais aussi de la croissance démographique, au motif que « l’épanouissement de la vie et de la culture humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine ». Il faut donc que tout change pour que la nature ne change plus qu’à son rythme.
Mais est-ce vraiment l’idée que la nature possède une valeur en elle-même qui nous poussera à la protéger ? Dans Green philosophy. How to think seriously about the planet, Sir Roger Scruton, philosophe britannique décédé en début d’année, soutient que la pensée conservatrice est la mieux à même de justifier la préservation de la nature. Critiquant l’approche écocentrique d’un Arne Naess, il souligne que « ce n’est que du point de vue des intérêts humains que la notion de valeur intrinsèque existe ».
En somme, Scruton estime que le motif écologique le plus fort pour les hommes, qui ont des « attachements locaux et limités », serait la volonté de protéger ce qui nous est cher plutôt que l’idée abstraite d’une valeur intrinsèque de la nature, ou que la peur d’une destruction imminente du monde.
Prenant l’exemple de la mise en place des parcs naturels aussi bien en Amérique qu’en Afrique, Scruton montre que « l’amour de la beauté a été un motif bien plus fort que n’importe quel intérêt utilitaire ou scientifique ». Dès lors, la notion centrale de ce conservatisme vert est celle d’oikophilie. Littéralement, il s’agit de « l’amour et l’attachement pour le foyer », l’enracinement, dans sa dimension naturelle et culturelle. Pour Scruton, cela inclut toutes ces manières de regarder les choses autour de nous comme étant « intrinsèquement signifiantes et irremplaçables ».
Préserver notre foyer, c’est donc nécessairement protéger la nature et sa beauté.
Jean-Baptiste Juillard
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