Après avoir été accusé à plusieurs reprises de propager des fake news, Facebook s’est engagé à regagner la confiance des médias traditionnels et de l’opinion publique en annonçant vendredi 25 octobre 2019 le lancement d’un nouveau fil d'actualités « Facebook news ». L’objectif de cette nouvelle option est double : participer au développement d’un journalisme digne de ce nom et limiter la propagation des fake news. Contrairement au flux d’informations « non contrôlé » reçu par les usagers de Facebook, Facebook news proposera un contenu d’informations variées issu de médias professionnels jugés sérieux. En présentant ce nouveau dispositif, Mark Zuckerberg a assuré « le travail que vous faites tous, dans la presse et le journalisme, est essentiel pour la démocratie ».
Mais les partisans de la démocratie peuvent-ils entreprendre d'interdire la diffusion d'informations jugées fausses, au risque de dissimuler certains faits au nom d’une conception de la vérité et d'exercer une censure ? Le projet de légiférer contre les fake news renvoie à une réflexion d’Hannah Arendt dans « Vérité et politique » où elle énonce deux principes : le débat démocratique a comme condition 1) le souci des « vérités de fait » et 2) le pluralisme des opinions. Mais est-ce suffisant pour garantir une information sérieuse et distinguer le vrai du faux ? Arendt remarque que « des générations d'historiens ont démontré l'impossibilité de constater des faits sans les interpréter (…), puis (sans les arranger) en une histoire racontée dans une certaine perspective ». Arendt reconnait que la nature de la vérité est difficile à discerner, d’autant que « les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes » par les hommes de pouvoir s’arrangeant avec certains faits.
Si la place de la vérité et la valeur de l’information en démocratie sont des problèmes complexes c’est que la constitution de la connaissance et de la vérité s’élabore par des procédures longues qui ne coïncident pas avec le temps médiatique. Dans son ouvrage La formation de l’esprit scientifique, Gaston Bachelard écrit « La vérité est une longue conquête et une succession d’erreurs rectifiées ». La connaissance de la réalité n’est jamais immédiate et complète, elle suppose des médiations, des tâtonnements, la nécessité de déconstruire des préjugés. Bachelard parle d’obstacle épistémologique. Et plus loin, il affirme que dans la connaissance scientifique « rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ». Autrement dit, le fait brut n’existe pas. Toute connaissance est une construction intellectuelle. Par conséquent l’information jugée fausse à un moment donnée peut fort bien être une étape nécessaire dans le cheminement vers la vérité.
La frontière du vrai et du faux en matière d’informations semble difficile à établir. Et comme la pure objectivité est impossible, le principe de neutralité semble peu convaincant. La philosophie doit donc rappeler l’importance de l’exercice du jugement critique, y compris à l’égard d’informations conformes à nos opinions, et la nécessité de ce que Bachelard appelait le « patient travail de la preuve ».
Jérôme Meyniel
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