Pollueur, pollué : qui doit payer ?

A l’origine du mouvement des Gilets Jaunes, une annonce de taxe dite « écologique » sur les carburants automobiles, dans le cadre d’une politique générale de « transition énergétique », considérée comme injuste. L’expression de « pouvoir d’achat » domine aujourd’hui les débats. Sous celle-ci se tient une question de philosophie politique classique : la justice redistributive. Comment répartir les charges et les bénéfices de la coopération humaine sur la base de laquelle une société fonctionne ?
 
C’est la recherche menée par John Rawls dans La Théorie de la justice, où il remplace le concept admis d’égalité par celui d’équité, qui permettrait une redistribution plus juste des ressources. Le cas d’application de la justice environnementale n’est pas évoqué par Rawls, mais son expérience de pensée du « voile d’ignorance » permet d’envisager une répartition des responsabilités dans la gestion des biens communs naturels. Si chacun se place dans une situation où il ignore tout des acquis matériels et intellectuels avec lesquels il vient au monde, il optera naturellement pour que ceux ayant moins reçoivent plus, puisqu’il c’est ce qu’il voudrait pour lui-même. Imaginons une fiscalité écologique : ceux qui ont peu de patrimoine contribueraient le moins et, pourquoi pas, recevraient une compensation pour la pollution subie. Le Gilet Jaune faisant son plein de diesel en souffrant de maladies respiratoires devrait contribuer moins qu’un exploitant de plateformes pétrolières, et celui-ci devrait même compenser les nuisances qu’il lui inflige.
 
C’est la théorie du pollueur-payeur, basée sur ce raisonnement intuitif : celui qui cause le dommage doit le réparer. Mais le bon sens se heurte à la réalité : le problème environnemental ne s’arrête pas aux frontières françaises tel le nuage de Tchernobyl, il est global. Et la majorité des agents qui dégradent l’environnement ne sont pas des sujets moraux agissant mal par décision envers des individus identifiés : ce sont des torts sans intentionnalité.
 
Pour penser cette éthique de coupables sans responsables, Stéphane Chauvier emprunte à l’économie le concept d’externalités négatives (Ethique sans visage) où l’agent pollueur devient « malfaiteur oblique ». Ici, la théorie du pollueur-payeur ne fonctionne pas : la causalité de l’action étant diluée, la responsabilité du dommage s’atténue et l’obligation de réparation s’amoindrit. Il propose de retourner le problème et met en avant un schéma pollué-payeur, ne serait-ce que parce qu’il est plus opérant. Le pollué payerait pour une sorte d’immunité, dans un cadre où la négociation directe entre les agents n’est pas possible. Cela pourrait prendre la forme d’un système d'assurances géré par un fonds international public et protégeant contre les effets de pollueurs unilatéraux.
 
Pas sûr que ce genre de recherches normatives répondent à la frustration des Gilets Jaunes, mais elles démontrent comment les politiques publiques de transition écologique proposées sont a minima inopérantes.


Laura-Maï Gaveriaux

John Rawls (1921 - 2002)

Philosophe américain. Dans ses travaux, il réfléchit aux notions d'éthique et de justice et cherche à articuler rationnellement liberté individuelle et solidarité sociale à une époque marquée par la guerre du Viêt Nam et les luttes pour les droits civiques aux Etats-Unis. En savoir plus.
Stéphane Chauvier (né en 1959)

Philosophe français. Ses recherches récentes portent sur les théories de la justice internationale et les concepts de sujet et de personne. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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