Le scandale des Panama Papers touche hommes politiques, joueurs de foot, chanteurs et particuliers fortunés à travers le monde entier. Même si les mobiles sont divers et les procédés pas toujours illégaux, les plus bienveillants d’entre nous seraient tentés de constater avec découragement : « tous pourris ». La corruption est-elle inscrite dans la nature humaine ?
C’était en tout cas le point de départ du philosophe et médecin Bernard Mandeville, dans sa célèbre Fable des abeilles. Imaginez une ruche prospère, semblable à l’Angleterre du 18e siècle, où les abeilles trafiquent et truandent à tout va. Les avocats sont compromis, les soldats vénaux, les fonctionnaires achetés. Les honnêtes gens crient au scandale. Jupiter, lassé de leur arrogance, inscrit alors la vertu dans le cœur des abeilles. Les avocats se retrouvent au chômage (faute de procès), les banques ferment (à quoi bon emprunter quand on peut vivre de ses économies ?), les modes fanent (mieux vaut rapiécer ses vieux vêtements). Peu à peu, la société dépérit, et la ruche se retrouve pauvre et isolée, à l’abri d’un vieux tronc d’arbre. Et donc, « ceux qui veulent revoir un âge d'or doivent être aussi disposés à se nourrir de glands, qu'à vivre honnêtes »…
Mandeville n’est pas seulement un pamphlétaire. Il compléta sa fable par trois cents pages de philosophie morale, destinée à exposer les faiblesses des hommes, et à en tirer des leçons de politique publique ; car « par une action habile, le bon politique peut transformer les vices privés en bien public ». Il ne s’agit donc ni de tolérer ni d’éradiquer la corruption, mais de l’orienter au mieux pour le profit de tous. Si « tout homme a un prix » (every man has a price), comme le déclarait le Premier ministre de l’époque Robert Walpole, alors le gouvernement est comme le régulateur de ce vaste marché de dons et contre-dons qui font la complexité de l’humanité.
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