A l’inverse, une société ouverte embrasse d’emblée l’humanité entière. “Que les formules se remplissent de matière et que la matière s'anime - c'est une vie nouvelle qui s'annonce ; nous comprenons, nous sentons qu'une autre morale survient.” Des personnalités de génie, incarnant l’élan vital cher à Bergson, transcendent les pesanteurs des habitudes et des instincts, créant des fraternités inattendues. Mais après chacun de ces moments “se referme le cercle momentanément ouvert. Une partie du nouveau s'est coulée dans le moule de l'ancien ; l'aspiration individuelle est devenue pression sociale ; l'obligation couvre le tout.” Ainsi progresse notre monde, par ouverture et fermeture successives. Mais où trouver aujourd’hui ces héros de la morale ? Sans doute pas au Conseil européen…
La société ouverte de Bergson repose encore sur une conception mystique de la morale. Karl Popper lui donnera, dans le contexte de la seconde guerre mondiale, un sens plus politique. La société close (“closed society”) regroupe tous les modèles “collectivistes”, définissant un bien commun pour l’ensemble du groupe, et divisant ses membres en castes ; au contraire, la société ouverte (“open society”) est essentiellement individualiste, permettant à chacun de déterminer ses propres choix de vie, et donnant toute sa place au débat rationnel pour forger les lois communes. Pour Popper, c’est tout le mérite des Grecs du Ve siècle avant notre ère, Périclès et Socrate en tête, d’avoir opéré une telle transformation, posant les fondements de la civilisation occidentale.
La société ouverte s’oppose à une vision déterministe de l’histoire, que Popper critiquait chez Platon comme chez Marx. “Bien que l’histoire n’ait pas de sens, nous pouvons lui en donner un.” Il nous reviendrait donc aujourd’hui, sans céder aux mauvais augures, de nous battre pour préserver les vertus millénaires de cette “société ouverte”…
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