Cette interprétation sociologique peut sembler réductrice ou, à tout le moins, vexante. Heureusement que Jean-Paul Sartre a rendu ses lettres de noblesse au ski en en proposant, dans le dernier chapitre de L’Être et le néant, une analyse métaphysique. Skier, c’est s’approprier le monde de la manière la plus complète, dans la mesure où « cet en-soi (la piste) est par rapport à moi dans un rapport d’émanation tout en demeurant en soi » (sic). Autrement dit : je crée la montagne à mesure que je la dévale, j’en modifie la matière et le sens, et pourtant la neige recouvrira mes traces, comme si rien ne s’était passé.
« Glisser, conclut Sartre, c’est le contraire de s’enraciner. » La racine, si bien décrite par Sartre dans La Nausée, doit creuser, chambouler le sol, se fixer pour toujours. Le glissement, au contraire, laisse le monde intact. Je maîtrise la matière sans avoir besoin de m’y enfoncer, réalisant la synthèse du moi et du non-moi, de l’être et du néant si obstinément recherchée par Sartre. Rêve divin : posséder sans blesser. « Lorsque, d’ailleurs, nous nous laissons glisser sur la pente, nous sommes habités par l’illusion de ne pas marquer, nous demandons à la neige de se comporter comme cette eau qu’elle est secrètement. Ainsi le glissement apparaît comme assimilable à une création continuée : la vitesse symbolisant la conscience. »
Le ski réconcilie ma conscience avec le monde. Il triomphe de l’absurdité. Vous reprendrez bien un vin chaud ?
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