C’est à cette tâche que s’est employé Gaston Bachelard, contemporain des travaux d’Einstein et fondateur de l’épistémologie moderne (c’est-à-dire de la philosophie des sciences). Si des scientifiques peuvent éclairer l’univers à un siècle de distance, pourquoi n’en serait-il pas de même des philosophes ?
Bachelard analyse l’histoire de la pensée scientifique comme un progrès vers l’abstraction, s’affranchissant des « obstacles épistémologiques » posés par notre expérience empirique, notre vécu, notre ressenti.
La théorie de la relativité inaugure ainsi un « nouvel esprit scientifique », auquel Bachelard consacrera un livre. Nous devons rompre avec l’idée cartésienne d’une réalité constituée d’objets isolés dans le temps et dans l’espace. « Il faut rompre avec notre concept de repos : en microphysique, il est absurde de supposer la matière au repos puisqu'elle n'existe pour nous que comme énergie et qu'elle ne nous envoie de message que par le rayonnement. »
Cet effort conceptuel conduit alors la physique einsteinienne à remettre en cause la simultanéité. Si la masse d’un mobile est fonction de sa vitesse, si espace et temps s’altèrent l’un l’autre, il est désormais nécessaire d’apporter la preuve que les wagons du train partent tous simultanément ou que les rails sont parallèles. « Le monde est alors moins notre représentation que notre vérification. » Le nouvel esprit scientifique franchit un nouveau seuil dans l’abstraction. Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre.
« L'essence même de la réflexion, conclut Bachelard, c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris. » Mais patience : la science modifiera en retour les structures de notre esprit. Bachelard anticipe même une mutation progressive de notre cerveau qui pourrait s’adapter au monde des mathématiques einsteiniennes. Nos petits-enfants comprendront-ils instinctivement les ondes gravitationnelles ?
|