Dans un long article pour le New York Times qui a abondamment circulé sur les réseaux sociaux cette semaine, Adam Grant, professeur de psychologie à la célèbre Wharton School, conteste l’éducation intensive et disciplinaire des « enfants prodiges », dont les études montrent qu’ils font la plupart du temps des adultes assez médiocres, incapables d’innover. A l’inverse, il explique que les enfants les plus créatifs, ceux qui « changent le monde », sont élevés avec peu de règles.
Adam Grant rouvre ainsi le vieux débat sur l’éducation : doit-elle inculquer à tout prix connaissances et techniques, ou s’attacher à l’épanouissement personnel ?
Le pauvre John Stuart Mill est un bon exemple de petit génie torturé. Son père, disciple de Jeremy Bentham, appliqua sur lui les principes d’une éducation utilitariste, fondée sur la mémorisation forcée, l’évaluation constante et l’apprentissage des sciences. Le petit John Stuart connaissait le grec ancien à cinq ans, l’algèbre et le latin à neuf, au point de posséder « à l’âge de douze ans le savoir d’un exceptionnel érudit de trente ans », selon son biographe Isaiah Berlin. Résultat, l’adolescence venue, John Stuart traversa une crise existentielle d’une grande violence, en se découvrant incapable d’éprouver des émotions. Cela le conduisit à rejeter les principes de Bentham, et à élaborer une œuvre philosophique qui fit de la liberté individuelle une valeur suprême, au-dessus du principe d’utilité.
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