La sécurité est-elle « la première des libertés », comme l’a récemment répété le premier Ministre ? Deux pères fondateurs de la pensée politique lui répondent.
Thomas Hobbes : OUI
L’Etat, que Hobbes associe à la figure monstrueuse du Léviathan, existe dans la mesure où nous lui transférons notre droit naturel, celui d’assurer notre propre défense. Sa fonction est donc tout naturellement de garantir la sûreté du peuple.
Car l’homme à l’état de nature est, selon la formule bien connue, un loup pour l’homme (homo homini lupus). Sa vie est « solitaire, besogneuse, pénible, quasi-animale, et brève ». C’est la guerre de tous contre tous, toujours latente, et alimentée par les trois passions que Hobbes reconnaît en chacun de nous : la rivalité, la méfiance et la fierté… Le Léviathan nous empêche de nous entretuer, et permet que l’homme devienne aussi, parfois, un Dieu pour l’homme (homo homini deus) !
Hobbes a des raisons d’être pessimiste. Contemporain des guerres civiles anglaises, il a dû s’exiler pendant plus de dix ans (à Paris, le pauvre homme). Il connaissait la puissance des fanatismes, alimentés par « la peur des ténèbres et des spectres », et redoutait que « les deux pouvoirs, civil et spirituel, s’opposent l’un à l’autre », conduisant à la guerre civile et à la dissolution de la République… Tristement d’actualité.
John Locke : NON
Le point de départ de Locke est radicalement différent de celui de Hobbes : avant la naissance de l’Etat, les hommes développent des formes de sociabilité, nouent des liens sentimentaux et commerciaux, se retrouvent dans des communautés.
La sécurité figure donc simplement parmi les droits fondamentaux que l’Etat doit garantir de manière équilibrée, sans établir de hiérarchie entre eux. « Faire société », comme l’on dit aujourd’hui, c’est avant tout préserver les « propriétés » de chacun, qui comprennent à la fois la vie, la liberté et les biens.
Cette conception a alimenté la Bill of Rights américaine et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dans son article 2 compte au nombre des droits naturels « la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ».
Face à la menace, faut-il alors se tourner vers Hobbes et oublier Locke ? Pas si sûr. Locke est tout sauf naïf. Il précise en effet que le gouvernement doit être en mesure de « pourvoir au bien public dans tous les cas qui relèvent de circonstances imprévues et indéterminées, où l’observation stricte et rigide des lois serait dommageable » : c’est l’exercice de la prérogative. De quoi fonder le recours à l’état d’urgence ?
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